Discours de Mireille Grosjean au village de Klouekamé
province de Couffo, Bénin
21 février, journée mondiale de la langue maternelle
2017
Mireille Grosjean parle en tant que présidente de la Ligue Internationale des Enseignants Espérantistes, ILEI. Traduction consécutive en langue adja.
Lors d'un cours d'espéranto que j'ai donné à Cotonou, un de mes étudiants était un professeur d'agronomie à la retraite. Un autre était un jeune étudiant en agronomie motivé et très zélé. Celui-ci a fièrement annoncé: je parle français, allemand, anglais, espagnol. J'ai continué en disant: et... et... Il ne comprenait pas et me regardait avec de grands yeux. Alors j'ai dit: fon, adja... Et il a recommencé une nouvelle liste, fièrement: fon, adja, yoruba, ewe! Le vieux professeur était très heureux et a insisté en lui disant: dans tes études en agronomie, tes observations et analyses vont être rédigées en français. Mais elles devront se baser sur des données collectées auprès des agriculteurs, et avec eux, tu devras parler leur langue. Donc ces langues locales sont indispensables!!
Selon votre décision, que je salue ici au passage, et selon la Convention Relative aux Droits de l'Enfants de l'ONU, il est important et très positif que l'acquisition des capacités de base que sont la lecture, l'écriture et les premières notions de calcul soit effectuée dans la langue parlée tous les jours par les enfants.
De plus, ces langues locales sont indispensables pour que les enfants puissent échanger avec leurs grands-parents et vice-versa, pour que le savoir sur le climat, la terre, les plantes et leurs vertus, sur les proverbes et les coutumes, sur les chants traditionnels, pour que tous ces savoirs soient conservés et restent vivants de génération en génération. Si on perd l'usage de ces langues, on ne saura plus à quoi peut servir telle plante pour de meilleurs soins, une meilleure hygiène ou une meilleure alimentation. Je m'appuie sur les études de Madame Tove Skutnabb-Kangas pour affirmer cela, c'est une linguiste danoise. Ces langues sont des trésors. Si une personne a envie d'écrire une histoire, elle peut le faire dans l'une de ces langues. Bien sûr, si cette personne écrit son histoire en français, il y aura dans le monde plus de personnes capables de lire cette histoire. On le voit, les deux voies ont des avantages; il faut donc rester fidèle au bilinguisme et développer un plurilinguisme. On est dans la diglossie, l'usage quotidien de deux ou plusieurs langues. Toute l'Afrique est plurilingue, et cela est un immense avantage. En France, en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis d'Amérique, la grande partie des gens ne parlent qu'une langue, qui est une langue de grande diffusion. Ils sont pauvres, culturellement pauvres. Les langues africaines ne sont pas des langues de grande diffusion, mais elles sont des trésors et méritent toute notre attention et tous nos soins.
Ludovic était un adolescent tout simple. A 14 ans, après avoir vu dans sa ville de Bialystok, en Pologne, des tensions interethniques sanglantes, il est venu à l'idée qu'une langue internationale neutre pourrait éviter des conflits. Il faut une sorte de passe-partout. Et il l'a inventé. C'est l'espéranto. Cette langue est parlée dans plus de 130 pays du monde. L'espéranto appartient à tout le monde et à personne; la langue a été créée comme langue internationale. Si on prend une langue nationale et qu'on l'élève au rang de langue internationale, c'est toujours injuste, car les gens qui parlent cette langue sont avantagés. C'est pourquoi les anglophones avides de justice se mettent à l'espéranto, car en utilisant cette langue, on est tous sur le même pied. C'est la langue équitable. Les gens qui parlent cette langue sont sensibles aux droits linguistiques et luttent pour le maintien des langues locales. Nous avons donc le même objectif. L'UNESCO en 2017 honore une cinquantaine de personnalités phares dont Ludovic Lazare Zamenhof, le créateur de l'espéranto, car Zamenhof est mort en 1917, il y a cent ans. Mais il reste vivant dans une diaspora multicolore, ouverte et progressiste. Quand un russe rencontre une brésilienne lors d'un congrès d'espéranto, ils se parlent en espéranto, ils tombent amoureux, ils se marient, ils ont des enfants… ceux-ci ont l'espéranto comme langue maternelle. Bien sûr, ils parlent aussi la langue de leur père et la langue de leur mère, ils sont donc polyglottes.
Mireille Grosjean (mirejo3.blogspot.ch)
Association Universelle d'Espéranto / Universala Esperanto-Asocio, UEA
* www.linguistic-rights.org/21-02-2017 *
* www.linguistic-rights.org/unesco *
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